" Vous vous demandez peut-être comment cet homme venant du tiers monde peut-il être suffisamment en paix avec son esprit pour écrire des histoires ? Vous avez parfaitement raison. Je viens d’un monde laborieux qui croule sous le fardeau des dettes dont le remboursement l’expose à la famine ou presque. Certains des habitants de ce monde périssent en Asie des inondations, d’autres périssent en Afrique de la famine. En Afrique du Sud, des millions d’hommes sont rejetés et sont privés de tous les droits humains à l’ère des droits de l’homme, comme s’ils ne comptaient pas  parmi les hommes. En Cisjordanie et à Gaza, des gens sont perdus, en dépit du fait qu’ils vivent sur leurs propres terres, les terres de leurs pères, de leurs grands-pères et arrière-grands-pères. En échange de leur départ fier et noble — hommes, femmes, jeunes et enfants confondus — on leur a rompu les os, on les a tués avec des balles, on a détruit leurs maisons et les a torturés dans les prisons et les camps. Autour d’eux vivent 150 millions d’Arabes qui suivent ce qui se passe dans la colère et le chagrin. Une catastrophe menace la région si elle n’est pas sauvée par la sagesse de ceux qui désirent une paix juste et globale. […]

Ne soyez pas spectateurs de nos misères. Vous avez à  jouer un rôle noble qui sied à votre statut. De par votre position de supériorité, vous êtes responsables de toute dérive du monde animal ou végétal — pour ne pas parler de l’homme, et ce, où qu’il se trouve aux quatre coins du monde. Nous en avons assez des mots. Il est maintenant temps d’agir. Il est temps de mettre fin à l’âge des brigands et des usuriers. Nous sommes à l’âge où les dirigeants doivent être responsables de l’ensemble du monde. Sauvez les esclaves du sud de l’Afrique ! Sauvez les affamés en Afrique ! Sauvez les Palestiniens des balles et de la torture ! Sauvez les Israéliens qui profanent leur grand patrimoine spirituel ! Sauvez ceux qui sont endettés pas les lois rigides de l’économie ! […]

Il se pourrait que le Mal soit plus faible que nous ne l’imaginons. En face de nous se tient une preuve indélébile : si la victoire n’était pas toujours du côté du Bien, des hordes d’humains errants n’auraient pas été capables de faire face aux bêtes et aux insectes, aux catastrophes naturelles, à la peur et à l’égoïsme, et n’auraient pu croître et se multiplier. Elles n’auraient pas été en mesure de former des nations, et d’exceller dans la créativité et l’invention, de se lancer à la conquête de l’espace et de déclarer les droits de l’homme. La vérité de la matière est que le Mal n’est qu’une débauche bruyante et turbulente, et que l’homme se souvient plus de ce qui le blesse que de ce qui lui plaît."

(Extraits du discours de Naguib Mahfouz, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1988).